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samedi 25 avril 2009

Eaux Promises III

Après, mon Dieu, que le jour doit tomber, sers-moi dans tes mains l'eau promise. Ne m'offre plus la nuit, ni cette liqueur que je bois, que j'ai toujours bue, que je dois même continuer à boire. Calme ma plainte, avec la cendre de l'enfer, avec ton souffle premier. Comment ne pas se sentir oublié, lorsqu'il est tant de visages inconsolés ! Comment me taire, en étant comme sont les jours, longs, comblés d'errance et de douleur ! Ne me laisse plus seul au seuil de l'existence. Aujourd'hui, quand je m'éloigne, pas un adieu, pas une étreinte, pas même un sourire dans mon souvenir.
traduit de l'espagnol par Max Ahau

samedi 18 avril 2009

La Parole

I
Rien n’est éphémère, ni la douleur ni le plaisir.
Nous courrons d’une porte à un arbre solitaire,
d’un pont à une grotte gardienne du temps.
Chaque regard est une découverte achevée.
La pluie est le soleil que dissimulent certains nuages.
Notre parole est un cri irrévocable dans le néant.
Nous écrivons un nom, celui de quelqu’un que nous ne connaissons pas.
Nous prions dans le temple déserté de l’oubli,
et rêvons de Dieu enchaîné à sa douleur.
Nous sommes des pèlerins sans foi au milieu du désert
et nous nous endormons sur le sable blanc en contemplant l’univers.
Pour survivre, parfois, nous imaginons un ami,
nous lui offrons un nom et, habités par son souvenir,
nous égarons dans une forêt de mots vagabonds.
Nous affirmons venir d’un autre peuple et ils nous confondent
avec les pleurs que laissèrent ceux qui s’en furent.
Nous ne gardons rien du silence que nous offre
le sort, le destin auquel nous ne souhaitons jamais être attachés.
Comme cet obscur passé, nous marchons sur l’herbe
pour atteindre le souvenir laissé par d’autres pèlerins.
Dans une rue nous croisons le sourire d’un inconnu,
puis nous nous asseyons sur une pierre pour contempler
les empreintes qui restent dans l’herbe,
et ton visage qui dans la pénombre reste en attente,
ami, frère, de la parole qui nous sauve.



II

Dès lors, je songe à cette parole qui tous nous délivre
de la peur, de l’ombre qui assiège la mémoire,
de l’air qui s’infiltre par les lézardes de la douleur.

Je songe à la parole qui tous nous délivre
de la douleur que nous découvrons dans cette vallée.

Je songe à la parole qui nous désigne un chemin,
celle-là qui nous montre une fenêtre, et non l’oubli.

Je songe à la parole que m’a donné un ami à la frontière,
celle-là qui préserva tout mon destin de sa manne.

Je songe à la parole secrète qui tous
nous attend quelque part, seule et nue.

Je songe à la parole que d’autres hommes ont prononcée,
celle-là qui ouvrit les portes de l’insomnie.

Je songe à la parole qui est restée gravée pour moi sur un arbre,
celle-là qu’avaient déjà gravée d’autres mains sur d’autres murs.

Je songe à la parole destinée pour d’autres à l’oubli,
celle-là qui me nomme un bruit, une chose, une image.

Je songe à la parole qui ouvrit les flots de la mer,
celle-là qui traversa tout un désert.

Je songe à la parole dont nous rêvons
depuis le fond d’une caverne.

Je songe à la première parole que nous prononçons
avec douleur, sur ce chemin qui nous conduit quelque part.

Je songe à la parole que je prononcerai un jour,
celle-là qui nomme tout, qui révèle tout.

Je songe à la parole que j’écrivis sur une carte
pour un inconnu.

Je songe à la parole qui mesure le temps,
celle-là qui détruit les chemins comme les nuits.

Je songe aussi à la parole que j’ai rencontrée au bord d’une rivière,
à celle-là qui me confia un enfant à l’aube
pour traverser l’immensité du jour.



III

Ce n’était pas la nuit mais la lumière
Non le passé mais le chemin qu’il reste à parcourir
C’étaient ses mains s’accrochant à une branche
C’étaient des voix qui dévalaient ses lèvres
C’était sa longue chevelure halée par le vent
Ce n’était pas la nuit mais ses yeux comme des lumières dans la nuit
Ce n’était pas une étoile mais une fenêtre ouverte :
c’était sa voix qui appelait depuis le fond d’un bois et aussi
le bruit que faisaient ses pas dans le sable.
Je l’attendais chaque soir
au pied de ce chêne dont l’ombrage accueillait mon corps fatigué.
Ce n’était pas le doute mais sa voix qui traversait le vent,
sa voix qui rafraîchissait tout mon corps dans le désert.
Mais aujourd’hui je veux la voir et ne le puis
Si bien que vers une ombre mouvante du chemin je m’approche.
Mes pas s’enfoncent dans la poussière soulevée par le vent,
je traîne mon corps comme on traîne un roc du chemin.
Ce n’était pas la nuit mais une parole qu’invente le jour
pour que tout soit différent dans le verger défendu,
pour que les enfants ne contemplent pas dans leurs mains
la faim,
la soif qui s’écoule comme un fleuve dans le corps des malheureux.
C’était une autre ombre dont personne ne voulait plus se souvenir,
le visage dont personne ne voulait plus se souvenir.
Ce n’était pas la nuit mais le vent qui descend ou monte vers le ciel.
C’était elle, la parole, la voix qui créa tout l’univers
et toutes les choses qui existent dans l’univers.
C’était la pierre qui de la pierre se forme.
C’étaient les mers qui impatientes m’attendent.
C’étaient les fleurs qui contemplent nos yeux dans les prés.
C’étaient les sources qui naissent du ventre de la terre.
Ce n’était pas la nuit mais un chemin découvert que tous attendent.
Ce n’était pas le feu mais la fontaine du repos
là-bas où les malheureux trouveront
De l’eau pour laver leurs pitoyables visages
Qui vécurent comme fuyant la vie des gens heureux,
puisqu’ils ne leur laissèrent rien d’autre qu’oubli, indifférence et mépris.
C’était la parole qui garde tout et se souvient de tout.